À mes lecteurs,
Je vais essayer de vous transmettre l’expérience d’un voyage que j’ai pu faire récemment.
Cet été, je suis partie de Paris en train pour rejoindre les montagnes suisses. Pendant dix jours, j’ai partagé la vie de pratiquants d’un art martial nommé Soo Bahk Do, fondé en Corée à la moitié du XXème siècle par Hwang Kee. Son fils, le Grand-Maître, Hwang Hyun Cheul Kwan Jang Nim, était l’invité prestigieux de ce séminaire, d’autres gradés Ko Dan Ja étaient également présents tant pour continuer à apprendre de lui, que pour enseigner aux plus jeunes.
Le grade définit leur position dans une hiérarchie de savoir et d’expérience de la discipline. Seulement quelques-uns d’entre eux vivent de leur art, les autres Ko Dan Ja ont un travail.
Au total, plus de soixante-dix élèves, venus des quatre coins du globe : de France, d’Italie, d’Espagne, de Belgique, d’Australie, d’Angleterre, d’Allemagne, des États-Unis, en plus des hôtes suisses.
La grande majorité parlait anglais, mais j’ai pu utiliser l’allemand, l’italien en plus du français… sentiment que le monde n’est pas d’une seule langue mais d’une multiplicité, prise de conscience qu’elles sont, dans leurs différences-mêmes, le vecteur de notre compréhension mutuelle. Le lieu était très beau : nous étions entourés de montagnes, d’eau -cascades, lacs-, de verdure, de calme et de paix. Lieu propice à une certaine méditation loin de l’agitation des villes.
En tant que novice, je dirais que cette pratique allie travail du corps et de l’esprit, elle convie à appliquer les valeurs de respect, de patience, d’endurance, d’effort, de dépassement de soi. Elle m’évoque le symbole Yin/Yang qui réunit l’aspect féminin et l’aspect masculin de chaque être, l’importance de l’équilibre pour toute vie.
Avant chaque séance, il y a un long rituel de mise en ligne comparable à un rituel militaire où un haut gradé, à la ceinture rouge et bleue, donne le cours aux élèves rangés selon leur grade. Les plus gradés se retrouvent alors dans les premiers rangs et ainsi de suite jusqu’au dernier. Disposés de cette manière, les « moins » gradés peuvent regarder devant eux et prendre comme exemple celui ou celle qui fait le mouvement. Attention aux retardataires qui faisaient bouger les lignes le temps de trouver leur place !
La ponctualité est une qualité des suisses, une règle incontournable, indispensable respect pour l’ordre collectif. Au début de chaque cours en extérieur, une horloge était installée qui égrenait le temps, seconde par seconde. À l’heure pile, « les portes de la ponctualité » se fermaient !
Chaque jour et peu de temps après le lever du soleil, il y avait une séance d’exercices respiratoires et d’étirements nommés Moo Pahl Dan Gum. Puis s’enchaînaient dans la journée d’autres sessions. On pouvait en conclure que tous les élèves faisaient les mêmes mouvements, les mêmes figures imposées. Mais après avoir observé plusieurs entraînements, et en y regardant de plus près, j’ai pu constater que chaque pratiquant avait une face « externe », le fait d’accomplir un mouvement et une face « interne », chacun le faisant selon la manière dont il l’a appris, selon sa culture, son physique, sa personnalité, son vécu. La face « cachée » de chacun, ou sa face interne s’extériorise par une façon personnelle de pratiquer, par un une façon personnelle de penser, et de se présenter aux autres. Aux détours de mes discussions, de mes observations, j’ai découvert deux versants de la pratique du Soo Bahk Do : l’une qui privilégie l’extériorité, une forme de virilité, la posture physique, la démonstration en tant qu’elle est visible, et l’autre plus intériorisée plus discrète, qui accueille le mouvement, lui laisse une existence propre, une énergie qui prend le temps de se déployer, et ne se comprime pas à une volonté de faire, mais s’attache à la propre raison d’être du mouvement.
Comme il est dit dans le Dao de Jing : « Produire sans s’approprier, agir sans rien attendre, guider sans contraindre ».
Cette manière de pratiquer m’a fait voir une présence chez certains pratiquants, une présence à soi, et aux autres, au monde qui les entoure ; une façon d’habiter son corps, de transmettre non plus seulement un mouvement mais aussi une énergie particulière, le corps devenant le vecteur d’une intention. To be awake ?
Que penserait Hwang Kee de l’avenir de son école ?
Comment relier la pratique du passé à celle d’aujourd’hui en respectant les différences ?
Chaque instructeur, chaque pays a son style et sa manière de pratiquer, et il n’y a pas de nécessité à ce que l’un ou l’autre modifie quelque chose.
Ce genre d’événement sert seulement à avoir un point de vue qui s’exprime en plus, celui du Grand-Maître. Il le fait toujours de manière abstraite, subtile, où chacun porte son regard sur ce qu’il reconnaît.
Ce que je trouve magnifique au pays du Soo Bahk Do c’est que, comme pratiquant, vous pouvez aller sonner à la porte de n’importe quel dojang, vous serez toujours le bienvenu.
Comme l’écrivait Marcel Proust : « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ».
Par Marie Bessol, maman d’élève en voyage & Élodie Mollet